BRÈVE HISTOIRE DE VENTE AUX ENCHÈRES


La première vente aux enchères de l’Histoire nous est inconnue. Cependant, tout porte à croire que ce mode de répartition des richesses s’est imposé précocement, car plus pacifique et pérenne que la force.

Dans son Histoire Naturelle, Pline l’Ancien raconte que les Romains organisèrent la vente aux enchères des objets provenant du sac des Cités grecques, et principalement de Corinthe, en 146 avant J-C.


Mais le premier de tous, à Rome, à avoir porté une considération publique à des tableaux étrangers, fut L. Mummius[1], auquel sa victoire valut le surnom d’ « Archaïque ». En effet, lorsque, dans la vente aux enchères du butin, le roi Attale eut acheté pour 600 000 deniers un tableau d’Aristide représentant Liber Pater[2], Mummius, étonné de ce prix et soupçonnant l’existence dans ce tableau de quelque vertu inconnue de lui, le fit ramener en dépit des fortes protestations d’Attale, et il l’exposa dans le temple de Cérès.

PLINE L’ANCIEN, Histoire Naturelle, XXXV/VIII, trad. Stéphane SCHMITT, 2013, Gallimard.

Mummius l’Archaïque, décelant quelque magie dans l’œuvre achetée à si bon prix, retint donc le tableau. En agissant ainsi et en le plaçant dans le temple de Cérès, Mummius venait de créer le droit de préemption, que l’Etat français exerce toujours aujourd’hui.

Les ventes aux enchères, ou « auctiones » étaient fréquentes dans l’Empire romain. Moins spectaculaires que celles des consuls, certes, mais très largement pratiquées : un héritier qui recevait des biens qui lui étaient inutiles, un propriétaire souhaitant renouveler son intérieur, un emprunteur préférant transformer ses biens en liquidités plutôt que de faire défaut… tous faisaient des ventes aux enchères.

Pline le Jeune nous rapporte ainsi la mise à l’encan de biens qu’il venait de recevoir en héritage, dans une lettre adressée à son grand-père par alliance Fabatus :

Tu t’étonnes que mon affranchi Hermès, sans attendre l’enchère publique, ait adjugé à Corellia les terres de mon héritage, que j’avais demandé de mettre en vente, pour les 5/12èmes qui constituaient ma part, sur la base de 700 000 sesterces (…) C’est moi qui lui ai proposé de choisir parmi mes biens fonciers celui qu’elle voulait (…). En conséquences, lorsque me fut échu l’héritage dans lequel figurent les biens en question, je lui ai écrit qu’ils allaient être mis en vente. Hermès lui porta ma lettre et, comme elle voulait qu’il lui adjugeât ma part sur-le-champ, il a cédé à sa demande.

PLINE LE JEUNE, Lettres, tome 3, VII/11, trad. Nicole METHY, 2012, Belles Lettres.

Ces ventes aux enchères étaient très similaires aux nôtres.

En effet, les fouilles entreprises en 1875 à Pompéi et Herculanum ont révélées les archives d’un ancêtre des commissaires-priseurs d’aujourd’hui : l’ « auctionator » Cecilius Jucundus.

Elles nous apprennent que les ventes aux enchères pouvaient se faire en tout lieu, y compris sur une place publique. Mais Cicéron relève :

Il faut avoir perdu tout sentiment d’honneur pour mettre son bien aux enchères ailleurs que dans une salle des ventes.

Cicéron, De Lege agraria, I/3/7.

Un crieur parcourait la ville pour annoncer la vente, des affiches étaient apposées dans les rues commerçantes en rouge ou noir. Le jour de la vente aux enchères, le crieur annonçait les conditions de la vente, présentait les objets et prenait les enchères. Les enchérisseurs faisaient un signe de tête ou levaient le doigt. Sur un promontoire, le crieur faisait monter les enchères.

L’auctionator adjugeait au plus offrant. Il recevait 1 % du montant des adjudications et pouvait exercer le métier de banquier, avancer de l’argent aux vendeurs, octroyer des prêts sur gage, comme le Crédit Municipal aujourd’hui.

A la chute de l’Empire romain, la profession disparaît et nous perdons quelques siècles la trace des enchères.


En France, le premier texte régissant les ventes aux enchères est une ordonnance de 1254, par laquelle Saint Louis donne aux « sergents à verge » le pouvoir de réaliser des ventes forcées. Les ventes aux enchères volontaires incombent curieusement aux fripiers.

Doresnavant nul ne pourra faire aucune prisée et partage de biens meubles en la ville et banlieue de Paris, qu’il n’est maistre frippier en icelle ville et banlieue de Paris.

Edit sur les attributions du grand chancelier de France et l’état privilégié de fripier de Paris, les revendeurs et colporteurs, les ventes publiques etc.

Paris, juin 1544 ; enregistré au Parlement le 30 avril 1561

Il faut cependant attendre le règne d’Henri II pour que le statut de commissaire-priseur moderne apparaisse, fruit d’une volonté centralisatrice et moralisatrice.

Centralisatrice d’abord, car le commissaire-priseur est placé sous la tutelle de l’Etat, qui le nomme ou fixe le montant de ses honoraires, mais lui octroie certaines privilèges dû à sa qualité d’officier ministériel.

Moralisatrice ensuite, car le commissaire-priseur reçoit l’interdiction de vendre toute marchandise neuve et de pratiquer tout acte de commerce. Il est un intermédiaire, un mandataire, entre le vendeur et l’acheteur.Cela le distingue de ses homologues anglo-saxons, les auctioneers, qui ne sont soumis qu’aux règles du commerce.

Depuis Louis XIV et excepté les temps troublés de la Révolution, les règles régissant la profession de commissaire-priseur ont peu évoluées. La réforme majeure fut opérée par les lois du 10 juillet 2000 et du 20 juillet 2011, qui ont scindé les activités de ventes judiciaire, entre les mains d’officiers ministériels, et celles de ventes volontaires, confiées à des sociétés commerciales régulées par le Conseil des Ventes Volontaires de Meubles aux enchères publiques.

Force est de constater que les ventes aux enchères résistent au temps, et depuis l’Antiquité, seul le statut de commissaire-priseur a évolué. Les enchères demeurent un mécanisme efficace d’attribution des ressources rares. En témoigne le prix Nobel d’économie 2020, attribué à Paul Milgrom et Robert Wilson pour leur contribution à l’amélioration et à l’application de la théorie des enchères.

[1] Lucius Mummius Achaicus fut consul de la République romaine en 146 av. J.-C. Il achève la conquête de la Grèce en soumettant l'Achaïe, province du sud de la Grèce.

[2] Dieu de la fécondité d'origine italique, assimilé à Bacchus (Dionysos) par les Romains.FAIBLE PROTECTION DES CONTRATS MULTIRISQUES HABITATIONS CLASSIQUE


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