COMPÉTENCES DES COMMISSAIRES-PRISEURS VOLONTAIRES EN INVENTAIRES DE SUCCESSION


La loi n°2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art[1] a introduit une clarification bienvenue : elle confirme et renforce la compétence du commissaire-priseur de ventes volontaires en matière d’inventaire fiscaux.

Rappelons que la loi du 20 juillet 2000[2] avait introduit une distinction entre commissaire-priseur judiciaire et commissaire-priseur de ventes volontaires.

Le commissaire-priseur judiciaire était un officier ministériel chargé de procéder aux prisées, inventaires et ventes de meubles aux enchères publiques, lorsque ceux-ci sont prescrits par la loi ou une décision de justice.

Le commissaire-priseur de ventes volontaires n’est pas un officier ministériel. Il est chargé de procéder aux inventaires et ventes de meubles aux enchères publiques, lorsque ceux-ci ne sont prescrits ni par la loi ni par une décision de justice.

La loi du 6 août 2015[3] a fusionné les professions de commissaire-priseur judiciaire et d’huissier de justice sous le titre de « commissaire de justice ». La nouvelle dénomination est entrée en vigueur de 1er juillet 2022.

Désormais, le commissaire-priseur judiciaire a disparu au profit du commissaire de justice, auquel il a transmis ses compétences. Le commissaire-priseur de ventes volontaires a été renommé « commissaire-priseur ». Cependant, dans un but de clarté de notre développement, nous avons souhaité conserver ici l’ancienne qualification de « commissaire-priseur de ventes volontaires ».

Ces différentes réformes ont eu un impact important sur la répartition des compétences entre commissaires-priseurs de ventes volontaires, commissaires-priseurs judiciaires et désormais commissaires de justice.


DÈS LORS, QUI A COMPÉTENCE POUR RÉALISER UN INVENTAIRE FISCAL ? LE COMMISSAIRE-PRISEUR DE VENTES VOLONTAIRES EST-IL DE CEUX-LÀ ?

Cette question a fait l’objet de vifs débats. Nous reviendrons brièvement sur la définition de l’inventaire fiscal, avant d’aborder la question de la compétence du commissaire-priseur de ventes volontaires avant la loi du 28 février 2022. Nous développerons enfin la clarification formelle apportée par la loi du 28 février 2022, qui confirme et renforce la compétence du commissaire-priseur de ventes volontaires en matière d’inventaire fiscal.

DÉFINITION DE L’INVENTAIRE FISCAL

L’assiette des droits de succession repose sur la valeur des biens du défunt. Ces biens doivent donc faire l’objet d’une évaluation.

Les meubles, et particulièrement les meubles meublants, posent des difficultés :

-Ils sont nombreux,

-Leur évaluation est rendue difficile par l’ensemble des critères à prendre en compte (ancienneté, état, provenance, fluctuations des différents marchés concernés…),

-Et leur valeur est souvent modeste comparée aux efforts à fournir pour obtenir une évaluation précise.

Le législateur a donc défini des bases légales d’évaluation, dans un but de simplification.

L’article 764 du CGI[1] prévoit plusieurs modes d’évaluation :

-La vente publique

-L’inventaire établi dans les formes prescrites par l’article 789 du code civil

-Le forfait, égal à 5% de l’ensemble des autres biens du défunt

La vente publique ne présente pas de difficulté particulière, et nous avons abordé la question du « forfait mobilier » dans un précédent article, auquel nous vous renvoyons.

Nous souhaitons ici nous concentrer sur l’inventaire dit « fiscal », permettant d’échapper au forfait de 5%, sans procéder à une vente publique.

[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045277005


LE COMMISSAIRE-PRISEUR DE VENTES VOLONTAIRE, DÉJÀ COMPÉTENT SOUS L’EMPIRE DE L’ANCIENNE LOI

Nous l’avons vu, l’article 764 du CGI[1] admet que l’inventaire fiscal puisse servir de base légale d’évaluation des meubles meublants. Cependant, il pose une condition : que l’inventaire soit « dressé dans les formes prescrites par l’article 789 du code civil ».

Or l’article 789 du code civil[2] dispose :

La déclaration est accompagnée ou suivie de l'inventaire de la succession qui comporte une estimation, article par article, des éléments de l'actif et du passif.

L'inventaire est établi par un commissaire-priseur judiciaire, un huissier ou un notaire, selon les lois et règlements applicables à ces professions.

A première lecture, l’article 789 du code civil ne donne compétence qu’aux officiers ministériels limitativement énumérés. L’inventaire fiscal doit donc être établi et signé par l’un d’entre eux.

Pour autant, le texte ne s’oppose pas à ce que l’officier ministériel en charge de l’inventaire s’adjoigne les services d’un expert.

L’article 1330 1° du code de procédure civile[3] prévoit même explicitement cette possibilité :

Outre les mentions prescrites, selon le cas, pour les actes dressés par un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice ou un notaire, par les lois et règlements applicables à ces professions, l'inventaire contient :

1° Les nom, prénoms, profession et domicile du ou des requérants, des personnes comparantes ou représentées, le cas échéant des commissaires-priseurs judiciaires et des experts ;

Le commissaire-priseur de vente volontaires peut donc établir un inventaire fiscal en qualité d’expert.

Cette position est d’ailleurs soutenue de longue date par l’autorité de régulation du marché des ventes aux enchères publiques :

« Il ressort de ces dispositions que l’inventaire de succession doit être établi et signé par l’un des officiers ministériels cités. Pour autant, le texte ne pose aucune réserve quant à la possibilité pour l’officier ministériel chargé d’établir un inventaire de recourir aux services d’un « sachant » pour la détermination et l’évaluation des biens inventoriés. Dans cette optique, l’officier ministériel est bien fondé à solliciter un commissaire-priseur de ventes volontaires aux fins d’expertiser et d’évaluer le contenu de la succession. Le commissaire-priseur de ventes volontaires intervient en tant qu’expert, l’officier ministériel restant le signataire de l’acte ».[4]

Avant même l’entrée en vigueur de la loi du 28 février 2022, le commissaire-priseur de ventes volontaires pouvait déjà réaliser les inventaires fiscaux en tant qu’expert.

En pratique, le notaire avait simplement à signer l’acte. Néanmoins, le législateur a jugé opportun de confirmer et de renforcer la compétence du commissaire-priseur de ventes volontaires, en complétant l’article 764 du CGI.

[1] Ibid.

[2]https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006431580/

[3]https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006412484/2007-01-01/

[4]https://www.conseildesventes.fr/sites/default/files/inventaires_fiscaux_1.pdf


LA LOI DU 28 FÉVRIER 2022 CONFIRME ET RENFORCE LA COMPÉTENCE DU COMMISSAIRE-PRISEUR VOLONTAIRE

La loi du 28 février 2022[1], en son article 3, complète l’article 764 du CGI en précisant que les inventaires fiscaux :

« peuvent être dressés par une personne mentionnée aux I ou II de l’article 321-4 du code de commerce»

Or l’article 321-4[2] vise les « opérateur de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques », personnes physiques (I) ou personnes morales (II). Il précise en son III :

Les personnes physiques remplissant les conditions mentionnées aux 1° à 3° du I prennent le titre de commissaire-priseur de ventes volontaires, à l'exclusion de tout autre, lorsqu'elles procèdent à ces ventes.


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045268693/

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045276883

 

Il s’agit d’ailleurs de l’intention explicite des parlementaires. Pour s’en assurer, revenons sur le parcours de cette loi et les différents rapports afférents. Rappelons la chronologie :

1.Proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art

2.Texte adopté en 1ère lecture par le Sénat le 23 octobre 2019

3.Texte modifié en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 9 février 2022

4.Texte adopté sans modification en 2ème lecture par le Sénat le 28 février 2022

Revenons sur chacune des étapes et leurs apports successifs.

1.Proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art [1]

L’objet exclusif de ce texte était, initialement, de transformer l’autorité de régulation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, en instituant un Conseil des maisons de vente en lieu et place du Conseil des ventes volontaires.

2.         Texte adopté en 1ère lecture par le Sénat le 23 octobre 2019 [2]

Le Sénat adopte en première lecture le principe de cette réforme, moyennant certains ajustements. Il ajoute notamment un article 1er bis ainsi rédigé :

Cet article est issu d’un amendement déposé par Jean-Pierre Sueur. Le compte-rendu des débats est particulièrement éclairant concernant les intentions des sénateurs [3]:

M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’appliquer la recommandation numéro 5 de l’excellent rapport déjà cité de Mme Chaubon et de M. de Lamaze [4], consistant à permettre aux maisons de vente d’élargir leurs compétences aux inventaires successoraux facultatifs, c’est-à-dire aux inventaires fiscaux.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacky Deromedi, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’habiliter les opérateurs de ventes volontaires à réaliser les inventaires dits « fiscaux » (...), il est envisageable qu’ils puissent être accomplis par des opérateurs de ventes volontaires. Le ministère de l’économie et des finances m’a fait savoir qu’il n’y était pas opposé.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Avis très favorable. Cet élargissement de compétences est tout à fait bienvenu. (…)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11 rectifié bis.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

[1]https://www.senat.fr/leg/ppl18-300.html

[2]https://www.senat.fr/leg/tas19-014.html

[3]https://www.senat.fr/seances/s201910/s20191023/s20191023_mono.html#Niv1_SOM7

[4]http://symev.org/wp-content/uploads/2018/12/Rapport-sur-la-mission-sur-l%C3%A9valuation-de-la-profession-dop%C3%A9rateur-de-ventes-volontaires-20.12.2018.pdf


3.Texte modifié en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 9 février 2022[5]

Cet article est voté sans difficulté par l’Assemblée nationale[6].

4.Texte adopté sans modification en 2ème lecture par le Sénat le 28 février 2022[7]

Cet article n’est plus en débat et est définitivement adopté, sous le numéro d’article 3 de la loi du 28 février 2022.

Les rapports des deux chambres confirment l’intention des parlementaires:

Le rapport n° 2721 de M. Sylvain MAILLARD, fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 février 2020[8], affirme :

« La présente proposition de loi, par ses articles 1er bis, 3 et 4, permet d’élargir les activités des professionnels des ventes volontaires afin de dynamiser leur activité :

– l’article 1er bis leur permettra de réaliser les inventaires fiscaux au même titre que les notaires ou les futurs commissaires de justice ;

Le présent article complète le I de l’article 764 du code général des impôts afin de permettre aux maisons de ventes et aux commissaires-priseurs de ventes volontaires de pratiquer les inventaires successoraux facultatifs mentionnés au 2° du même article, et ce au même titre que les commissaires-priseurs judiciaires, les huissiers et les notaires visés à l’article 789 du code civil. »

Le rapport n° 489 (2021-2022) de Mme Catherine BELRHITI, fait au nom de la commission des lois, déposé le 16 février 2022[9], rappelle :

« l'article 1er bis, issu d'un amendement déposé en séance publique par Jean-Pierre Sueur, qui vise à autoriser les opérateurs de ventes volontaires à réaliser les inventaires dits « fiscaux » (inventaires facultatifs des biens meubles d'une succession, qui permettent d'échapper à l'évaluation forfaitaire des meubles meublants dans les conditions prévues à l'article 764 du code général des impôts) »

Si l’intention du législateur est désormais établie, comment articuler cette nouvelle compétence avec l’article 789 du code civil ?

L’Assemblée nationale est très claire sur ce point : les commissaires-priseurs de ventes volontaires sont compétents : « au même titre que les commissaires-priseurs judiciaires, les huissiers et les notaires visés à l’article 789 du code civil. »

La liste de l’article 789 du code civil n’est donc plus limitative. L’article 764 du CGI le complète.

[5] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0795_texte-adopte-seance#

[6] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2021-2022/premiere-seance-du-mercredi-09-fevrier-2022#2784795

[7] https://www.senat.fr/leg/tas21-112.html

[8] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b2721_rapport-fond

[8] https://www.senat.fr/rap/l21-489/l21-489.html

 

 

 

Les commissaires-priseurs de ventes volontaires sont désormais compétents, non plus en tant qu’experts, mais au même titre que les notaires et les commissaires de justice.

Conclusion

Il ressort de tout ce qui précède que la loi du 28 février 2022 confirme et renforce la compétence des commissaires-priseurs de vente volontaire en matière d’inventaires fiscaux, dans le cadre des successions. L’article 789 du code civil est maintenu, mais n’est plus limitatif : les commissaires-priseurs de ventes volontaire sont compétents, au même titre que les officiers ministériels.

Cette mise en concurrence est la bienvenue, et profitera sans conteste aux héritiers.

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