Interview

Laëtitia Jeanpierre-Berraud

fondatrice de l’association JIBOIANA

Le 16 octobre, nous aurons le plaisir d’animer la vente aux enchères d’une œuvre de Caroline Coppey, dont les fonds seront intégralement reversés à l’association Jiboiana. L’occasion de revenir sur les projets et les valeurs portés par l’association, en compagnie de l’une de ses fondatrices, Laetitia Jeanpierre-Berraud.

Pourquoi avoir choisi le nom « Jiboiana » ?

Le terme renvoie à la cosmologie du peuple Huni Kuin, vivant au Brésil, dans l’Etat d’Acre, au cœur de la forêt amazonienne. La Jiboia est un serpent ancestral, qui a une forte valeur symbolique chez les Huni Kuin. Notre association a pour but de défendre ces peuples autochtones et préserver  l’Amazonie et ses espèces menacées.

Vous avez 28 ans, vivez à Paris, travaillez en tant que UX designeuse. Votre vie quotidienne semble bien éloignée de celle des Huni Kuin. Comment vous est venue l’idée de construire cette association ?

C’est une histoire de rencontres, qui nous ont amenés, Léo Landon, président-fondateur et moi, à voyager au Brésil en 2018 et à vivre un mois au sein de la tribu Huni Kuin. A la suite de ce voyage, pleins de gratitude, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup de choses à faire.

Ils nous ont tellement bien accueillis pendant ce mois où nous étions chez eux, qu’il nous est apparu nécessaire d’aider à la conservation de leur culture, qui a beaucoup de mal à survivre. De nombreux Huni Kuin migrent vers les villes, où il y a du travail, de l’eau, de la nourriture et plus de confort. Au fil du temps, les cultures indigènes se perdent.

« La condition première à la survie d’une culture, c’est d’abord la vie elle-même. Et donc l’accès à l’eau potable »

Quelles actions permettent de défendre la culture des Huni Kuin ?

La condition première à la survie d’une culture, c’est d’abord la vie elle-même. Et donc l’accès à l’eau potable. Notre association a construit trois puits et remplacé trois autres, à la demande des Huni Kuin. Par exemple à Caucho, où vivent près de 1000 Huni Kuin, il n’y avait que cinq puits fonctionnels en 2018. Les villages alentours n’en avaient aucun. Ils devaient parcourir de longues distances, simplement pour avoir accès à l’eau potable.

Vos premières actions visent donc à permettre la vie, par l’accès à l’eau potable. Mais l’Amazonie est très largement irriguée. Pourquoi les puits sont-ils si nécessaires ?

Les fleuves d’Amazonie sont très pollués, à tel point que leurs eaux ne peuvent pas être bues. Des personnes décèdent ou tombent malades chaque jour à cause de l’eau. Cette pollution provient des industries, notamment minières, qui déversent du plomb et du mercure dans les fleuves. Ensuite la déforestation permet la culture du soja, qui a largement recours aux pesticides, et l’élevage intensif de bétail dont les déjections sont nocives.

Quels sont les investissements nécessaires à la construction d’un puits ?

Nous avions d’abord réuni 20 000 euros pour trois puits, mais ce n’était pas suffisant. Il faut compter en moyenne entre 5 000 et 8 000 euros par puits, sans compter les éventuels surcoûts dus à l’implantation. Le forage coûte très cher car il faut creuser très profondément. A 12 mètres il n’y a pas d’eau, il faut plutôt aller à 60 mètres. Et plus le forage est profond, plus cela coûte cher. Nous voulions également faire des puits à panneaux solaires et non à gazoline, pour éviter la pollution au pétrole, ce qui ajoute un coût non négligeable.

.

Ces puits à panneaux solaires s’inscrivent aussi dans une démarche écologique, n’est-ce pas ? Vos projets ne sont pas seulement humanitaires ou culturels.

En effet, l’accès à l’eau potable et la préservation de la culture Huni Kuin et des autres culture indigènes ne peut pas faire l’économie d’une démarche durable et écologique. Par exemple à Rio Branco et à Caochau nous avons planté des milliers de semences pour assurer la souveraineté alimentaire des peuples autochtones et re-forester leurs territoires. C’est un projet que nous avons porté en partenariat avec la fondation Yves Rocher. Plus de 500 personnes ont désormais accès à l’eau et plus de 1000 personnes ont accès à ce « vivero », cette pépinière.

Maintenant que ces projets sont réalisés, quels sont vos prochains défis ?

Nous souhaitons désormais sensibiliser davantage le public aux difficultés que rencontrent les peuples autochtones. Mais plutôt que d’insister sur la culpabilité, comme peuvent le faire certaines associations, nous voulons développer un discours positif. Qu’y a –t-il de plus positif que la culture ? Nous avons commencé à travailler avec des artistes, dont nous présentons le travail. S’ils le veulent, ils peuvent ensuite nous soutenir financièrement ou parler de nous. L’idée est de mettre en place un cercle vertueux.

C’est la raison pour laquelle dès le début nous avons voulu organiser des ventes aux enchères, pour présenter le travail des artistes. On commence avec une œuvre de Caroline Coppey, les choses se mettent en place progressivement.

« Nous voulons développer un discours positif. Qu’y a-t-il de plus positif que la culture ? »

Vous souhaitez faire de l’art un outil de sensibilisation, qu’il soit occidental ou indigène.

Oui, car au final nous sommes tous liés par certaines causes, certains désirs, comme celui d’aider la planète. On se rend compte qu’énormément de personnes veulent aider, quels que soit leurs univers.

D’ailleurs le jour de la vente, cinq représentants dont quatre de peuples différents (Huni Kuin, Karaja, Munduruku et Pataxó)  seront présents et chanteront des chants traditionnels, entourés des toiles abstraites de Caroline Coppey.

« Les peuples indigènes représentent 1,5% de la population mondiale, mais protègent 80% de la biodiversité mondiale »

La vente aux enchères du 16 octobre est donc une parfaite synthèse de vos valeurs. Les fonds récoltés seront-ils dédiés à un projet précis ?

Oui. Toujours dans cette démarche de sensibilisation, il est très important pour nous de laisser de la place aux peuples indigènes, pour qu’ils s’expriment eux-même. Cinq leaders et activistes indigènes arrivent en France le 15 octobre, pour trois semaines. Notre rôle est de médiatiser leur parole. Nous les accompagnons à Paris, à la COY16 et à la COP26. On sera à Bruxelles quelques jours.

Les fonds récoltés permettront de financer leur séjour en Europe (transport, nourriture, essence…). Cela coûte cher mais il est très important de le faire : pendant ces 3 semaines, il vont pouvoir réellement s’exprimer sur ce qui se passe en Amazonie, et souligner le rôle primordial qu’ils jouent dans la préservation de l’environnement. On le sait peu mais les peuples indigènes représentent 1,5% de la population mondiale, mais protègent 80% de la biodiversité mondiale. Il est important de les écouter aujourd’hui.

A la fin de ce grand périple, s’il reste de l’argent, chaque leader recevra une enveloppe pour sa communauté. Donner de l’argent ne fait pas partie des valeurs que nous défendons habituellement, mais nous acceptons cette petite entorse car nous avons confiance en ces 5 leaders. Nous travaillons avec eux depuis longtemps, et nous ferons également un reportage sur les projets qu’ils auront mis en œuvre.

« A travers tous ces projets nous souhaitons montrer l’importance des rôles des peuples autochtones dans la préservation de l’Amazonie et des espèces menacées. »

Association JIBOIANA

@association_jiboiana

Soutenir

 

Samedi 16 Octobre 2021 à 17h

Vente aux enchères caritative pour l’Amazonie et ses peuples

au profit de l’Association Jiboiana

Don de l’artiste Caroline Coppey

Froissée n°20, 2018
Huile et acrylique sur calque collé sur toile montée sur châssis
113 x 85 cm

ventes aux encheres estampes